André Chénier, « Pasiphaé », vers 1781-1783

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Pasiphaé, femme de Minos, roi de Crête et fils de Jupiter et Europe, est en proie à un amour contre-nature pour un taureau. C’est de l’union avec ce taureau que naît le Minotaure, monstre fabuleux à corps d’homme et à tête de taureau. Dans le poème que lui consacre André Chénier, sa passion la pousse à commettre un geste terrible.


Pasiphaé

      Tu gémis sur l’Ida1, mourante, échevelée,
      Ô reine ! ô de Minos épouse désolée !
      Heureuse si jamais, dans ses riches travaux,
      Cérès n’eût pour le joug élevé des troupeaux !2
5    Tu voles épier sous quelle yeuse3 obscure,
      Tranquille, il ruminait son antique pâture ;
      Quel lit de fleurs reçut ses membres nonchalants
      Quelle onde a ranimé l’albâtre de ses flancs.
      Ô nymphes, entourez, fermez, nymphes de Crète,
10   De ces vallons fermez, entourez la retraite4.
      Oh ! craignez que vers lui des vestiges épars5
      Ne viennent à guider ses pas et ses regards.
      Insensée, à travers ronces, forêts, montagnes,
      Elle court. Ô fureur ! dans les vertes campagnes,
15   Une belle génisse à son superbe amant
      Adressait devant elle un doux mugissement.
      La perfide mourra ; Jupiter la demande6.
      Elle-même à son front attache la guirlande7,
      L’entraîne, et sur l’autel prenant le fer vengeur :
20   « Sois belle maintenant, et plais à mon vainqueur. »
      Elle frappe. Et sa haine, à la flamme lustrale8,
      Rit de voir palpiter le cœur de sa rivale.


André Chénier, « Pasiphaé », dans Poésies Antiques, 1781-1783


1. Ida : chaîne de montagnes au pied de laquelle se trouvait la ville de Troie.
2. Vers 3-4 : Pasiphaé aurait été heureuse si Cérès, la déesse romaine des moissons et de la fertilité, n’avait pas permis l’existence des troupeaux. Ainsi, Pasiphaé ne serait jamais tombée amoureuse d’un taureau.
3. Yeuse : chêne vert.
4. Vers 9-10 : Pasiphaé demande aux nymphes d’entourer et de fermer les vallons qui servent de retraite au taureau envoyé par Poséidon à Minos.
5. Vestiges épars : le mot vestige surprend ici ; il s’agit sans doute d’un emprunt au poète latin Virgile à entendre comme l’ensemble des génisses susceptibles d’attirer l’attention du taureau dont est éprise Pasiphaé.
6. Jupiter la demande : cet hémistiche fait entendre les pensées de Pasiphaé et sans doute, dans un procédé proche du discours indirect libre, les paroles adressées par elle à sa rivale pour l’attirer à l’autel et la sacrifier.
7. Guirlande : le mot désigne vraisemblablement le joug placé au cou de la vache pour la faire se déplacer.
8. Lustrale : qui sert à purifier.

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